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15 mai 2006

RENCONTRE A RAPA NUI (Ecrit par Sylvain Mazet mon frèrot et co-réalisateur du reportage)

medium_rapa02bis.4.jpgCacho… Nous ne savons même pas son nom de famille… “Celui qui résout les problèmes”, c’est par ces mots que nous avons fait sa connaissance. Cet homme d’une trentaine d’années, vêtu la plupart du temps d’un simple maillot de bain et d’une plume fichée dans ses cheveux coiffés en chignon, sillonne les routes de l’île de Pâques à bord de son 4x4 rouge. Quelques instants plus tôt, il en descendait, accompagné de femme et enfants, les bras chargés de sculptures reproduisant à échelle réduite, le colosse de pierre qui nous faisait face: le moaï KO TE RIKU.

Cacho nous apprend que ce sont ses ancêtres qui ont érigé ce monolithe en l’honneur d’un vénérable défunt de la tribu. Les os de ce dernier et ceux des autres, disparus après lui, étaient placés dans la plate-forme (”ahu”), en pierres sèches, support du moaï. Ainsi, celui-ci orné d’yeux en corail et d’un chignon de roche rouge, embrassait du regard sa descendance, puisque le moaï est la représentation de l’aïeul.

Aujourd’hui, des siècles se sont écoulés, les sculpteurs qui ont “enfanté” ces colosses ne sont plus, et les Rapa Nui ne vivent plus devant l’ahu familial…

Cacho est l’exception. Il a décidé, à l’instar de ses ancêtres, de vivre le plus possible, près de son “Tupuna” comme on dit là-bas , de son aïeul.

medium_image0.jpgIl a pour cela tendu, entre deux rochers, près du site de Tahaï, le plus proche de l’unique ville, une toile, qui sert de “cabane” pour les enfants pendant la journée, et d’abri pour les repas du soir, lorsque le vent et la pluie s’invitent à la fête. Mais les touristes sont plus souvent présents que le mauvais temps.

Cacho aime en effet, s’entourer d’amis et de voyageurs de passage pour partager la joie simple de déguster quelques poissons grillés, sous les étoiles incroyablement lumineuses par ses latitudes...

Pourtant, de rester comme ceci sur le site, il n’en a point le droit. L’île a été classée parc national par l’État chilien. C’est à dire que la taxe dont on doit s’acquitter pour pouvoir visiter les domaines archéologiques de l’île de Pâques, permet à la CONAF (COrporacion NAcional Forestal) de gérer le parc, d’entretenir et de protéger les monuments. Pourtant, l’incendie qui a endommagé, en 1996, quelques moaï du volcan RANO RARAKU (carrière où fut sculptée la plupart des statues) a fait monter au créneau le “Conseil des Anciens”. Composé d’un membre de chaque grande famille de RAPA NUI, il essaie de s’opposer aux politiques menées par l’État chilien et dans ce cas précis, à accuser la CONAF de n’utiliser qu’une partie des fonds collectés dans ce “musée à ciel ouvert”…

Et le problème est là. Conscients des intérêts pour Rapa Nui à être classée parc national et même patrimoine mondial par l’UNESCO, quelques insulaires veulent tout de même retrouver la fonction “première” des moaï. Ne pas les regarder comme les vestiges d’un peuple presque disparu, mais comme le message intemporel de leurs ancêtres…

Aujourd’hui, Cacho est partagé entre deux mondes, deux époques, deux notions : tradition et modernité. Comme il nous l’a expliqué, il veut tracer son propre chemin, il veut vivre comme il l’entend et non comme on voudrait lui imposer. Il rejette donc le christianisme et toutes ses traditions ; à tel point qu’il ne veut pas que sa mère, lorsque celle-ci disparaîtra, soit enterrée dans le cimetière. Ses os devront être placés dans l’ahu à Tahaï, le site retrouvera alors son utilité : lieu de sépulture, lieu de commémoration et donc lieu de vie. “Vivre devant le moaï”, prend alors toute sa signification…

medium_rapa110.4.jpgMais il ne rejette pas tout dans la vie moderne. Au contraire, la ligne aérienne Tahiti-Santiago du Chili via l’île de Pâques amène continuellement des voyageurs, des “nouvelles têtes” sur cette petite île si isolée. Cela lui permet de vivre de sa passion qu’est l’artisanat.

Pendant la journée à Tahaï, il vend et, en quelque sorte dissémine ses petits moaï et autres reproductions à travers le monde (à Tahiti, l’idole aux yeux ouverts aurait la réputation de faire fuir ceux qui se seraient introduits impunément dans la maison placée sous sa protection…), et le soir, il aime faire de chaque repas un moment d’échange, au delà des cultures, au delà des langues. Souvent, la soirée se prolonge et finit tard en discothèque, devant laquelle stationnent plus fréquemment des chevaux que des voitures…


Mais nous étions là avant tout pour réaliser un reportage vidéo et précisément sur le thème de l’héritage culturel et des apports du monde moderne. Nous préparions notre voyage depuis un an : mon frère et moi avions partagé le travail ; à lui, la tâche ingrate de la recherche de financements, en région parisienne et aux alentours de Châtellerault ; et à moi, le plaisir d’étudier l’histoire de l’île de Pâques et de l’Océanie, généralement assez méconnues. Autant, la recherche de sponsors avait été infructueuse et démoralisante, autant la découverte de l’île à travers les récits de grands navigateurs (Cook, La Pérouse, Pierre Loti…) nous encourageait à réunir nos économies pour nous rendre sur l’île la plus isolée au monde, au tragique destin…

medium_rapa249.4.jpgSe sont en effet succédés depuis le XIXème siècle, les “négriers” péruviens qui ont annihilé le savoir ancestral en déportant les initiés vers des mines de guano, les missionnaires catholiques qui ont évangélisés les survivants en détruisant tous les vestiges “païens” (tablettes KOHAU RONGO RONGO, moaï KAVA KAVA…), les éleveurs anglais et leurs 40000 moutons qui ont rasé les villages ancestraux et enfin le Chili prenant possession de l’île, regroupant et parquant les Rapa Nui dans le village d’Hanga Roa et essayant de leur ôter leur langue, le dernier legs de leur culture. Est-ce réellement le dernier ?
Non, la pierre, symbole de l’immuable dans toutes civilisations, a une fois de plus rempli son rôle ; les moaï aux yeux ouverts ont défié les siècles et les hommes, pour atteindre de leurs regards bienveillants le cœur de leurs descendants.

Et Cacho était là, face à nous, au pied du moaï, comme à son habitude. Nous avions convenu d’un rendez-vous : la veille de notre retour en France semble être le seul jour possible pour fixer et condenser, sur bande magnétique, les nombreuses heures de discussion au coin du feu. Malheureusement, le mauvais temps et surtout la mauvaise luminosité ne nous permettent pas de le filmer. Le soleil toujours absent, Cacho nous déclare en rigolant : “C’est le moaï qui ne veut pas !…”

Déçus de ne pouvoir ramener le message de Cacho, de diffuser et faire connaître ses réflexions sur la vie et l’avenir de sa famille et de son peuple, nous nous décidons à lui faire nos adieux et nous le remercions pour la chaleur, l’amabilité et la générosité dont il a fait preuve à chacune de nos rencontres. En guise de salutations, Cacho, lui, nous confie son souhait pour l’an 2000 : la création d’un livre sur Rapa Nui et sa culture ; ce que Cacho désire, c’est que son peuple écrive sa propre histoire, de l’arrivée d’Hotu Matua, jusqu’à nos jours. Ces dernières paroles échangées sonnent comme une invitation à revenir sur ce petit caillou perdu dans le Pacifique et peuplé de géants, ce qui n’est pas pour nous déplaire !…  

  

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